Xavière est comme ça. Quand elle en a assez de répondre aux questions pénibles, elle s’en va fumer une petite cigarette. Le président a eu le malheur ou l’élégance de lui permettre cette liberté, à la grande fureur d’un avocat des parties civiles.
Me Comte a eu deux mots : « Quelle complaisance ! » Le président l’a pris de travers, « le tribunal saura s’en souvenir, maître ». Antoine Comte veut seulement s’ôter d’un doute : « A-t-on jamais vu une audience où la prévenue peut s’en aller fumer pendant qu’on l’interroge ? » Non, mais ce n’est pas une prévenue, c’est madame Tiberi, et Dieu sait si elle a déjà des soucis.
Les Tiberi ne sont plus assez nombreux pour former le dernier carré : ils sont deux. Anne-Marie Affret, fidèle d’entre les fidèles, première adjointe du maire du 5e arrondissement depuis 1984, a compris mardi 24 février qu’elle n’appartenait plus au clan. Hésiter, c’est trahir, et Mme Tiberi ne lui a pas envoyé dire qu’elle n’était plus son amie. C’est peu, mais peut-être suffisant pour faire basculer l’audience.
Ainsi va le procès des faux électeurs du 5e arrondissement ; ces trois semaines n’ont pas apporté de révélations sur un dossier vieux de quinze ans, mais une page se tourne, celle des années Chirac, avec celle des années Tiberi. Les époux s’accrochent avec une obstination qui force l’admiration, en dépit d’un dossier épouvantable. La terre s’effondre sous leurs pieds, mais c’est la terre qui ment.
Onze prévenus attendent depuis le 2 février que la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Paris les fixe sur leur sort, il manque quelques exécutants et beaucoup de poids lourds de la vie municipale parisienne, sauvés par la prescription. Les positions sont à peu près tranchées désormais, et la confrontation générale, mardi 24 février, n’a qu’insensiblement fait glisser les lignes de front.
D’un côté les sous-fifres de Mme Affret. Deux bénévoles RPR, puis Annick Mercier, sa secrétaire, qui murmure, « On m’a rendue malhonnête, on m’a fait écrire des choses, je reconnais ma faute, mais j’ai subi des ordres. » On lui a aussi trouvé un appartement, fait observer le procureur, et trois cartes du RPR.
Patrick Mondain, ensuite, « homme à tout faire » de Mme Affret. Il a lui aussi, sous la dictée, rempli de fausses demandes d’inscription sur les listes, parce qu’il était soumis. « Mais qu’est-ce que c’est que ces hommes soumis ! explose Anne-Marie Affret, qui ne lui arrive pas tout à fait à l’épaule. Je ne leur mettais pas le couteau sous la gorge, quand même ! »
De l’autre, les fifres. Jean-Charles Bardon, « maire postiche » du 5e, comme il s’en régale lui-même, de 1995 à 2001 quand Jean Tiberi est devenu maire de Paris, qui n’en finit pas de déglutir son chapeau. Il ne savait rien, n’a rien vu, « j’étais dans mon bureau et j’essayais d’en sortir le moins possible ». A côté de lui Jacqueline Mokrycki, aussi grise que Jean-Charles Bardon est transparent ; elle est entrée à 17 ans comme secrétaire à la mairie du 5e, Jean Tiberi, toujours maire de l’arrondissement, a tout fait pour sa carrière, elle est aujourd’hui sa directrice de cabinet et n’a vraiment rien remarqué de suspect.
Deux hommes se sont mis à table. Raymond Nentien, le secrétaire général de la mairie, mis au parfum dès 1991 des fraudes par son prédécesseur, Claude Comiti. Il a découvert en 1994 qu’elles étaient massives et n’a tout raconté aux gendarmes qu’en garde à vue en 2000. « Les ordres venaient de plus haut, de M. Tiberi, je ne pouvais rien faire, j’aurai été laminé », il exhorte son maire, élu de la République, à reconnaître la vérité devant la justice de son pays, « ce serait votre honneur ». « Je n’ai pas de leçon de morale à recevoir de vous », laisse tomber, glacial, le maire. (more…)