L’absence de dialogue social et l’affaiblissement du syndicalisme expliquent en grande partie les manifestations du désespoir des salariés.Séquestration de cadres dirigeants, saccages de lieux officiels, occupations d’usines…
Chacun trouvera matière à commentaires. Inexcusable, compréhensible, attendue, espérée ou redoutée, cette violence sociale est surtout révélatrice d’un échec national. Tous les pays développés, et notamment nos plus proches voisins, sont touchés par la crise. Et celle-ci est dure, implacable, cynique… Le chômage croît vertigineusement, les entreprises se restructurent hâtivement pour retrouver, dès demain, leurs profits d’hier, les patrons continuent de se rémunérer par tous moyens, comme si de rien n’était, les délocalisations s’accélèrent toujours plus loin. Et les gouvernements, au-delà des proclamations officielles, laissent filer leurs déficits comme pour mieux dissimuler leur impuissance. Oui, il y a partout des raisons de la colère.
Et pourtant, c’est en France qu’elle est susceptible de dégénérer le plus vite. Déjà qu’en temps de relative prospérité, la grève, le blocage, le conflit sont les formes les plus courantes — alors qu’elles devraient être les recours ultimes — de la confrontation sociale, en période de crise, tout est à craindre. Non pas l’émeute ou la révolution — laissons cela aux spécialistes du XIXe siècle — mais les manifestations du désespoir. Celles des travailleurs sans travail, des ouvriers sans ouvrage, des employés sans emploi. Celles des «rien à perdre», cette cohorte humaine à qui l’on a ôté bien plus que le travail, mais le statut, l’identité et la dignité.
Voilà ce qu’il en coûte à un pays comme le nôtre d’avoir autant affaibli le syndicalisme, d’avoir réduit la négociation sociale à une peau de chagrin, d’avoir méconnu la légitimité de l’action collective, d’avoir laissé les délégués du personnel sous la menace de la sanction ou de la mise à l’écart. D’avoir aussi permis que la moitié des entreprises ne compte pas de représentation syndicale, d’avoir refusé tout financement public des grandes confédérations, d’avoir amoindri la portée des élections prudhommales, espérant la désuétude de l’institution. D’avoir confiné le paritarisme à un partage des places plutôt que des responsabilités, d’avoir nié le fait majoritaire, de crainte de recomposer le paysage syndical français autour des plus grandes centrales. Bref, d’avoir fait le pari de l’individualisation des rapports sociaux atténuée par la sainte alliance du paternalisme et de l’étatisme. (more…)