Qu’il s’agisse de soutenir la réforme des retraites ou de la dénoncer, l’argumentaire des acteurs politiques ou syndicaux est plutôt rodé. Et construit sur des assertions présentées comme autant d’”évidences” frappées au coin du bon sens. Pourtant, à y regarder de plus près, la plupart sont discutables. En voici quatre :
“Aujourd’hui on vit plus longtemps. Il est normal, il est naturel, il est logique de prolonger le temps au travail” (Eric Woerth, 9/09)
C’est l’argument-massue du gouvernement et des soutiens à la réforme : l’espérance de vie a augmenté, il faut donc travailler plus longtemps. Même le Parti socialiste admet ce fait comme une évidence. Les choses sont pourtant plus complexes.
Effectivement, l’espérance de vie a augmenté entre 1980 et aujourd’hui, au rythme moyen de 2 à 3 mois par an. Mais rien ne garantit que ce phénomène va continuer irrémédiablement. L’espérance de vie est calculée à la naissance, en partant du principe que les conditions (environnementales, sociales, sanitaires…) seront identiques tout au long de la vie. Or un certain nombre de celles-ci (environnement notamment) se dégradent et seront moins bonnes demain qu’aujourd’hui.
La hausse continue de l’espérance de vie n’est pas un fait établi. Elle a ainsi reculé en Russie et stagne aux Etats-Unis (voire recule pour les plus pauvres), du fait d’un système de santé défaillant par exemple. En France, l’Insee a observé une hausse des décès de femmes en 2009. Dans une tribune parue dans Le Monde, trois chercheurs de l’Institut national d’études démographiques notaient fin septembre que “les prédictions de l’Insee, pour qui l’espérance de vie va continuer à croître au moins jusqu’en 2050, reposent sur des données fondées sur l’impact du recul des maladies infectieuses, sans prendre en compte la réalité actuelle des maladies chroniques”, comme l’obésité.
De plus, l’espérance de vie n’est pas l’espérance de vie en bonne santé, qui évolue peu, puisqu’elle n’a augmenté que de trois ans depuis quinze ans et se situe autour de 63 ans, avec d’énormes disparités en fonction de la profession et du niveau de vie.
En fait, le problème de financement résulte plus d’une question de pyramide des âges, comme le note le Conseil d’orientation des retraites : en 1980, on comptait trois actifs pour un retraité ; en 2010, nous sommes à 1,8 actif pour un retraité. En 2050, on devrait être à 1,2 actif pour un retraité. Mais “actif” ne veut pas dire employé. Car en dernier ressort, c’est bien la question de l’emploi et de la croissance qui régleront ou non le déficit des caisses de retraites, ce même en augmentant l’âge légal.
“Garantir aux Français qu’eux-mêmes et leurs enfants pourront compter sur leur retraite et que le niveau des pensions sera maintenu” (Nicolas Sarkozy, 20/10)
La réforme sauve-t-elle un système en péril ? Pas vraiment. Le besoin de financement des régimes de retraites est d’une trentaine de milliards d’euros par an en 2010, un chiffre qui devrait monter à 70 à 115 milliards d’ici à 2050, selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites, dont les hypothèses elles-mêmes sont déjà sujettes à caution. Le constat est cependant unanime : les recettes manquent, d’autant plus avec la crise et la hausse du chômage, qui ont fait grimper encore le déficit. La France doit financer une retraite sur dix par l’emprunt, à hauteur de trois milliards chaque année, et le déficit cumulé atteint déjà 32 milliards.
Or la réforme n’assure que la moitié environ des besoins de financements, avec environ 27 milliards supplémentaires en 2018 (dont 18 milliards proviennent de l’allongement de la durée de cotisation), où le déficit du système devrait atteindre les 42,3 milliards. Le reste proviendra essentiellement de la liquidation des 32 milliards du fonds de réserve des retraites initialement prévu pour financer les départs en retraite entre 2020 et 2040.
Encore ce niveau de recettes reste-t-il optimiste. Comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites de façon relativement catégorique, les incertitudes règnent sur l’équilibre du système car il dépend essentiellement de la conjoncture : quel taux de croissance, combien de chômeurs ? Les hypothèses retenues sont optimistes. La réforme postule ainsi que d’ici à 2020, la France bénéficiera d’un chômage à 5 % (deux fois moins qu’à l’heure actuelle, et un niveau jamais atteint depuis la fin des années 1970) et d’une croissance moyenne de 2,8% par an, là encore du jamais vu en 30 ans. (more…)